Le livre de Ruth raconte l’histoire idyllique d’une jeune veuve moabite qui épouse un riche propriétaire israélite. Les caractères principaux du récit – Ruth, Booz et Noémi – sont exemplaires et témoignent d’un amour désintéressé. Chacun est préoccupé par le respect des lois divines et le bien-être de son prochain. Manifestement, le récit encourage une éthique de la compassion, mais il ne se limite pas à cela.
Le récit de Ruth doit être lu dans le cadre général de la révélation biblique, car c’est cet arrière-plan qui dévoile toute la profondeur de l’ouvrage. L’histoire de Ruth se situe à une époque charnière de l’histoire d’Israël, entre la période des Juges et celle de la royauté, à mi-chemin entre l’exode et l’exil, les deux points forts de l’histoire d’Israël. La première moitié de l’histoire indépendante d’Israël est marquée par la décentralisation politique, chaque tribu gérant sa destinée sous la responsabilité des aînés, aidés en temps de crise par les juges, chefs militaires charismatiques libérant ponctuellement la nation des occupations étrangères. La seconde moitié de l’histoire d’Israël est caractérisée par la centralisation du pouvoir entre les mains d’un seul homme, le roi. Le livre de Ruth se situe entre ces deux périodes, les premiers mots du livre liant le récit à la période des Juges (« Au temps des Juges… » 1.1) et le dernier mot du livre le rattachant à la royauté (« …Isaï engendra David » 4.22).
Les liens que le livre de Ruth entretient avec le passé et l’avenir ne se limitent pas aux bornes du récit. En amont, les livres de la Genèse et des Juges présentent plusieurs parallélismes littéraires avec le livre de Ruth. Dans la Genèse, deux récits sont particulièrement proches du livre de Ruth : l’histoire des filles de Lot qui couchent avec leur père pour susciter une descendance à leur défunt mari (Gen 19.30-38) et le récit de Tamar qui couche avec Juda son beau-père afin de susciter une descendance à son mari décédé (Gen 38). Quant au livre des Juges, les liens entre les deux appendices du livre (Jug 17-21) et le livre de Ruth sont tellement étroits qu’il n’est pas exagéré d’affirmer que Ruth forme le troisième appendice des Juges. Ruth partage aussi avec ce livre une même préoccupation pour certains thèmes fondamentaux : la conquête et la préservation de la terre promise, le rejet ou l’intégration des étrangers, le souci de la descendance, le respect ou le rejet de la Parole du Seigneur.
En aval du livre de Ruth, le thème du Messie unit le récit de Ruth avec les écrits prophétiques et le Nouveau Testament. L’histoire de Ruth n’est pas celle d’une famille quelconque, mais celle de la famille messianique. Ainsi, les qualités de Ruth et de Booz, ancêtres de David et ancêtres du Messie, annoncent les qualités de ce dernier.
L’histoire de Ruth sert ainsi de passerelle entre les débuts de la révélation divine (la Genèse) et son apogée (l’incarnation du Messie). Ce rôle de jalon confère au livre de Ruth sa vraie grandeur. Cet ouvrage n’est pas une œuvre éphémère retraçant l’histoire d’une inconnue, mais il est un pieu solide sur lequel s’arrime la révélation divine à un moment-clé de l’histoire d’Israël.
La révélation biblique est continue. Les livres inspirés se suivent et se complètent. Ils dévoilent le message divin avec une clarté croissante, car la révélation est progressive. C’est pourquoi les parallélismes du livre de Ruth avec les textes antérieurs présentent des renversements significatifs. L’histoire de Ruth rappelle l’histoire des filles de Lot et celle de Tamar, mais elle les dépasse aussi. Tout comme l’application de la loi du lévirat présentée dans le Deutéronome est dépassée par Ruth et Booz. C’est l’esprit de la loi qui anime les ancêtres du Christ, et pas simplement une application littérale (et donc limitée) de cette loi. Ainsi, le livre de Ruth est non seulement un repère dans l’histoire de la révélation, mais aussi un tremplin sur lequel les promesses divines rebondissent et se transforment en vue de préparer et d’annoncer la venue du Messie.
Le livre de Ruth fascine lorsqu’il est lu dans son contexte scripturaire. C’est pourquoi notre commentaire du texte biblique est précédé d’une introduction substantielle qui développe : les thèmes principaux du livre (chapitre 1), la place du livre dans l’histoire de la révélation (chapitre 2), la structure et la trame du récit (chapitre 3). Le quatrième chapitre présente d’autres approches du texte et se penche sur la question du cadre rédactionnel. Quant aux notes de bas de page, elles apportent des compléments, parfois à l’appui du texte principal, parfois en opposition avec lui.
La lecture des trois premiers chapitres de l’introduction est recommandée aux lecteurs qui connaissent bien le récit de Ruth. Les autres préféreront peut-être débuter avec le commentaire du texte (p. 81) et revenir aux chapitres de l’introduction après l’analyse détaillée.