Le livre des Juges séduit et rebute tout à la fois. Sa lecture ne laisse jamais indifférent : « Le livre est terre à terre, déroutant, primitif, violent, en un mot tellement étrange que l'Eglise a de la peine à le digérer… Seuls ceux qui prennent des tranquillisants avant de s'asseoir peuvent s'assoupir pendant la lecture » (D. R. Davis p.7). Les personnages sont humains, colorés, dramatiques, surprenants, souvent équivoques. Faut-il admirer Samson ou s'en détourner ? L'homme incarne-t-il les qualités du héros ou les vices de la déchéance humaine ? Chaque juge pose des problèmes et le discernement du lecteur est constamment sollicité, car l'auteur se contente souvent d'une simple narration des faits. Les difficultés et les leçons spirituelles jugées souvent comme trop négatives découragent les prédicateurs. Absent de la chaire, le livre reçoit pourtant un écho favorable à l'école du dimanche où le caractère de certains juges et la dynamique des récits fascinent l'imagination. Ainsi, bien que le livre des Juges ne serve que rarement de texte de prédication, Gédéon et Samson sont parmi les caractères les plus familiers de la Bible.
Les récits des Juges accrochent le cœur et l'esprit, mais désarçonnent l'intelligence. Mais attention : le texte n'est pas impénétrable. L'auteur veut être compris. Il a un message à transmettre ; et un message tellement important qu'il doit être non seulement compris, mais retenu. Le livre des Juges n'est pas un fast food qui peut être pris sur le pouce, en coup de vent, mais un festin, soigneusement préparé, où chaque élément est réfléchi et introduit en temps opportun pour contribuer à l'équilibre général. Pour le savourer, il faut s'asseoir et prendre son temps. Le repas est copieux sans être indigeste.
L'effort demandé au lecteur est commandé par un souci pédagogique. De même qu'un enfant ne fera de progrès en mathématiques que dans la mesure où il « sèche » un certain temps sur un problème, ainsi une leçon doit être méditée pour prendre racine et porter du fruit. Dévoiler la réponse trop rapidement, c'est court-circuiter le processus éducatif. De plus, ce qui est obtenu facilement est peu apprécié. L'auteur est un maître-pédagogue. Non seulement, il sait accrocher et garder l'attention par des récits captivants et variés, mais il contraint le lecteur à la réflexion par des récits dépourvus d'évaluation théologique directe. L'effort exigé est soigneusement dosé. Le lecteur n'est pas abandonné à lui-même, car diverses aides herméneutiques sont fournies par l'auteur. Les deux introductions au livre (1.1-2.5 ; 2.6-3.6), le portrait du premier juge (3.7-11), les références à l'Esprit sont autant de clés qui ouvrent la compréhension du livre. Une lecture qui ignore ces éléments apportés surtout au début du livre risque fort de s'égarer, comme une personne qui voudrait faire fonctionner une nouvelle machine sans consulter le mode d'emploi.
Une lecture globale de l’œuvre est indispensable. Dans le livre des Juges, tous les éléments se tiennent comme dans un édifice bien charpenté où les pierres tirent leur force du soutien qu'elles reçoivent les unes des autres. Chaque récit apporte une contribution particulière à un ensemble harmonieux et équilibré. Dans ce commentaire, nous chercherons constamment à interpréter le texte à la lumière de l'ensemble. Ce regard frais sur le livre ira jusqu'à renverser certaines idées généralement admises sur le ministère des juges. Une approche globale permet, en effet, de ressortir les juges de l'ombre de la médiocrité et du compromis dans laquelle des lectures trop fragmentées les ont enfermés. Notre conviction est que l'auteur du livre présente le comportement des juges de manière positive. Ces hommes sont des héros de la foi et des exemples pour la vie des fidèles, et nous espérons par ce commentaire stimuler la vie des croyants et encourager les prédicateurs à faire entendre, en chaire, la voix de ces hommes et de ce livre.
L'introduction portera sur la dimension littéraire et le contexte historique du livre. Les deux aspects sont importants et doivent être examinés avec soin. La dimension littéraire s'arrête sur la manière dont les choses sont dites, et la dimension historique s'intéresse au cadre de vie dans lequel le livre a pris forme. Ainsi, nous examinerons successivement les thèmes du livre, les mystères et les explications, la structure du livre, le cadre rédactionnel (date et auteur) et les questions chronologiques. Concernant l'auteur, nous verrons comment de nombreux éléments dans le livre soutiennent la tradition juive qui attribue cet ouvrage à Samuel. Plus précisément, il semble l’avoir écrit après l'instauration du premier roi, à un moment où le comportement de Saül était des plus condamnables, car une critique sous-jacente du monarque transparaît au travers du contraste avec les juges (voir annexes p. 382-386).