Commentaire d'un texte


Le quatrième jour (1.43-51)

Le groupe des disciples grandit rapidement. Philippe et Nathanaël rejoignent Jean, André et Pierre appelés la veille.

Philippe est appelé, semble-t-il, au moment où Jésus quitte Bethsaïda pour se rendre en Galilée. Jean résume l’appel de ce quatrième disciple en deux mots de Jésus : « Suis-moi ». André et Pierre ont-ils parlé à Philippe la veille ou au petit matin ? Philippe a-t-il entendu Jésus avant d’être appelé ? C’est possible, car Philippe annonce à Nathanaël avoir trouvé « celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé ».

L’engagement de Nathanaël est beaucoup plus détaillé. Jean s’y arrête, car Nathanaël d’abord sceptique, voire sarcastique, devient soudain enthousiaste après avoir échangé seulement quelques paroles avec Jésus.

Dans les évangiles synoptiques, Nathanaël (« le don de Dieu ») est désigné par le nom Barthélemy (« le fils de Thélemy »). Les évangiles synoptiques présentent donc l’homme dans son rapport avec son lien biologique et Jean présente l’homme dans son lien céleste. Nathanaël (alias Barthélémy) apparaît presque toujours avec Philippe. Les deux hommes sont amis, voisins et compagnons dans le ministère.

Nathanaël commence par tempérer l’excitation de Philippe, apparemment en raison de préjugés ‘géographiques’ : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » (1.46). Nazareth est un petit village méconnu au premier siècle, mais cela n’explique pas la réserve de Nathanaël, car lui aussi venait d’un petit village, « Cana en Galilée » (21.2) situé à moins de dix de kilomètres de Nazareth. Existait-il une rivalité villageoise entre Cana et Nazareth ? Pourtant Jésus reconnaît la droiture de Nathanaël (1.47). Il est donc probable que la réserve de Nathanaël à l’égard des habitants de Nazareth soit fondée. L’évangile de Luc décrit le comportement meurtrier des hommes de Nazareth qui veulent précipiter Jésus en bas d’une falaise à la suite de son interprétation d’un texte d’Ésaïe (Lc 4.16-30). L’anecdote se situe au début du ministère galiléen de Jésus, probablement une année après les événements décrits dans Jean 1. L’aveuglement spirituel et le comportement criminel des hommes de Nazareth étaient probablement connus dans la région, bien avant qu’ils ne se manifestent à l’égard de Jésus.

Philippe encourage Nathanaël à laisser ses préjugés et à venir voir Jésus. Même si la majorité des habitants d’un village sont mauvais, cela ne signifie pas que tous le soient.

Dès que Jésus voit Nathanaël, il lui dit : « Voici vraiment un Israélite, dans lequel il n’y a point de fraude » (1.47). Cette remarque étonne Nathanaël. Alors qu’il s’attend à de l’arrogance ou à de la méchanceté de la part d’un habitant de Nazareth, voilà qu’il reçoit un compliment.

De plus, Nathanaël s’étonne qu’un homme qui ne l’ait jamais rencontré puisse porter un jugement sur ses motivations personnelles. « D’où me connais-tu ? » Jésus cherche-t-il à flatter ou voit-il vraiment dans le cœur des hommes ? Apparemment, Nathanaël devait être un homme droit, sinon il n’aurait pas réagi de cette manière.

« Avant que Philippe t’appelle, quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu ». Jésus lui répond en lui démontrant qu’il voit au-delà de ce que les hommes voient. Jésus connaît le cœur des êtres humains, et il voit ce qui se passe à une grande distance. Que faisait Nathanaël sous le figuier ? Était-il caché ? Méditait-il les Écritures ? Était-il en train de s’engager devant Dieu à marcher dans le droit chemin ? Nous ne le savons pas, parce que ni Jésus ni Nathanaël n’en ont parlé, et Jean ne rapporte que ce qu’il a vu et entendu. Dès que Nathanaël comprend que Jésus connaît de lui ce que personne ne pouvait connaître, il reconnaît la grandeur de Jésus : « Nathanaël répondit et lui dit : Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël » (1.49).

Jésus félicite Nathanaël et admire sa foi : « Parce que je t’ai dit que je t’ai vu sous le figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses que celles-ci » (1.50). Nathanaël croit, alors qu’il n’a presque rien vu de Jésus. Il est un modèle pour les croyants, et c’est dans cette perspective que Jésus dit: « Voici, un Israélite dans lequel il n’y a pas de fraude ». Jésus ne veut pas dire que Nathanaël est sans péché, car tous les hommes sont pécheurs, excepté le Christ (Rom 3.23 ; Hé 4.15). Jésus connaît tout du passé de Nathanaël, ses hauts et ses bas, mais il discerne aussi son ouverture à Dieu au moment où il le rencontre, avant que Nathanaël n’exprime sa foi en Jésus. Un homme sans « fraude » (dolos, lit. ruse, tromperie) est un homme réellement ouvert à Dieu, un homme qui recherche son Créateur de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force (Mt 22.37 ; Mc 12.30 ; Lc 10.27). Un tel homme accepte les paroles du Fils de Dieu dès qu’il les entend. C’est exactement ce que Nathanaël a fait.

Jésus annonce alors que Nathanaël et les autres disciples qui l’accompagnent verront « le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme » (1.51). De quoi Jésus parle-t-il, car le Nouveau Testament ne mentionne jamais la réalisation d’un tel événement ? L’illustration fait référence à l’expérience du patriarche Jacob lorsqu’il s’apprêta à fuir la Terre promise pour échapper à la colère de son frère Ésaü qu’il avait trompé (Ge 28.10-22). Durant la nuit, Jacob eut un songe :

 

« Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. Et voici, l'Éternel se tenait au-dessus d'elle ; et il dit : Je suis l'Éternel, le Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac » (Ge 28.12-13).

 

L’Éternel promet à Jacob de donner à sa postérité la terre qu’il est en train de quitter ; et il lui promet que sa descendance sera comme la poussière de la terre… et que toutes les familles de la terre seront bénies en lui et en sa postérité. Jacob nomme le lieu Béthel (‘la maison de Dieu’), car Dieu est dans ce lieu. Mais ce lieu représente aussi le début de la famille de Jacob, l’homme qui sera appelé plus tard Israël.

Jésus annonce à ses disciples un avenir tout aussi exceptionnel, voire plus. En fait, trois jours plus tard (2.1), lors d’un mariage à Cana en Galilée, Jésus accomplit son premier miracle. Le signe de l’eau changée en vin témoigne de la venue du Fils de Dieu parmi les hommes : le ciel est comme ouvert. Ce ne sont pas des anges qui montent et qui descendent une échelle, mais le Fils de Dieu vient visiter en personne les êtres humains. L’Éternel avait parlé d’une famille nombreuse à Jacob. Jésus rassemble ses disciples autour de lui et fonde une nouvelle famille, la première communauté des croyants de la nouvelle alliance, une communauté qui deviendra aussi nombreuse que la poussière de la terre et s’étendra dans le monde entier.

Notons que Jean a pris soin de transmettre les termes par lesquels Jésus et Nathanaël se désignent : Jésus appelle Nathanaël « un vrai Israélite », et celui-ci appelle Jésus « le roi d’Israël ». (Le mot ‘Juif’ est soigneusement évité ici.) La référence indirecte au patriarche Jacob-Israël encourage le lecteur à comparer la famille d’Israël du temps du patriarche avec la nouvelle famille que Jésus est en train d’établir.

Plusieurs contrastes doivent être relevés entre Jacob et Nathanaël. Le patriarche est un homme rusé et tordu lorsque l’Éternel se révèle à lui à Béthel, alors que Nathanaël est l’homme sans fraude quand Jésus se manifeste à lui. Jacob deviendra un autre homme lorsqu’il reviendra au pays. Il recevra alors un nom nouveau, Israël, celui qui « lutte avec Dieu » et qui finit par être béni (Ge 32.29). Nathanaël n’a jamais lutté avec Dieu. Il a aussi deux noms. Les évangiles synoptiques le désignent par le nom qui le rattache à son passé, c’est-à-dire son père (Barthélemy signifie ‘le fils de Thélemy’, Mt 10.3 ; Mc 3.18 ; Lc 6.14) ; Jean utilise le nom qui souligne la grâce (Nathanaël signifie ‘don de Dieu’).

La rivalité entre Jacob et Ésaü (les frères jumeaux) est profonde, alors que la méfiance de Nathanaël envers Jésus (un homme du village voisin) est infondée. La rivalité entre les deux frères tombe lorsque les jumeaux se retrouvent après plusieurs décennies, alors que le scepticisme de Nathanaël face à Jésus se transforme en admiration aussitôt qu’il le rencontre.

Au temps des patriarches, le ciel s’est ouvert une fois, en rêve, à Jacob. Les disciples verront le ciel ouvert à de nombreuses reprises, pendant trois ans, non pas en rêve, mais dans la réalité concrète des miracles de Jésus.