Le chapitre 2 contient la première révélation de Dieu sur le temps des nations. Elle consiste en une vision imagée donnée à Nebucadnetsar. Une statue représentant quatre royaumes terrestres successifs est détruite par une petite pierre, qui devient alors une immense montagne remplissant toute la terre. Dieu informe ainsi le roi qu’il établira son Royaume divin éternel à la suite de divers royaumes humains.
Informations sur le monde païen. Le message principal est clair, mais le narrateur ne se contente pas de résumer la leçon principale en un paragraphe. Le chapitre 2 est beaucoup plus élaboré que l’introduction succincte du chapitre 1 (49 versets au lieu de 21 précédemment) ; il permet de rentrer de plain-pied dans le monde païen. Pour commencer, il présente un récit détaillé des réactions initiales du roi à sa vision (2.1-13), puis il transmet une description divine et imagée de divers royaumes du monde, à commencer par celui de Babylone (2.29-45).
L’angoisse du roi suscitée par sa vision (2.1), la relation tendue entre le monarque et ses conseillers et leur incompréhension réciproque (2.5-11), et surtout la décision de Nebucadnetsar de mettre à mort tous les sages de Babylone (2.12) donnent une image bien plus angoissante du monde païen que celle présentée au chapitre 1. La vie dans le monde païen n’est pas de tout repos. Elle sera même par moment risquée, car le comportement des autorités et du roi défient parfois toute logique et toute justice. Sous l’emprise d’une crainte manifestement exagérée (2.1), Nebucadnetsar durcit le ton en menaçant de tuer les conseillers qui ne l’aideraient pas (2.5). Rapidement, le roi se coupe de tout discours sensé, accusant ses aides de le tromper et de lui mentir (2.9) ; lorsque ceux-ci continuent à clamer leur droiture et leur bon vouloir (2.10-11), il ne patiente pas une seconde et ordonne un crime aussi horrible qu’inutile. Tous les conseillers sont condamnés à mort (2.12). Le roi est apparemment pris de démesure, et ses sages se trouvent incapables de le raisonner. Cette image du monde païen se retrouve partiellement dans la statue, qui présente d’abord une face lumineuse et glorieuse avant de se ternir : le “monde” devient menaçant (la dureté du fer est relevée) et instable, avec les pieds composés d’un alliage de fer et d’argile.
Informations sur Daniel. Le chapitre 2 permet aussi de mieux connaître Daniel. Là où tous les sages du royaume échouent, le prophète hébreu réussit. Le récit décrit sa démarche auprès de l’eunuque bourreau (2.15), puis du roi (2.16), puis de ses amis (2.17), et enfin auprès de Dieu (2.18), avant de revenir à l’eunuque (2.24) et au roi (2.25-45). Daniel adapte son langage à chaque groupe concerné. Il interroge l’eunuque pour bien comprendre la situation, il prie le roi de lui accorder un délai, il instruit ses amis de la situation, il implore Dieu d’avoir la vie sauve puis lui exprime sa reconnaissance ; il promet à l’eunuque qu’il peut aider le roi et sauver les sages, puis devant le roi, il témoigne de l’action divine en reconnaissant humblement ses limites personnelles et rend toute la gloire à Dieu.
La reconnaissance de Daniel et sa foi en Dieu sont exprimées au centre du récit (voir p. 142) dans un psaume d’une grande densité théologique (2.20-23). L’essentiel de l’enseignement théologique du livre se trouve résumé ici en quelques lignes.
La révélation de Dieu aux païens. L’objet principal du chapitre n’est pas, bien sûr, de décrire ou d’illustrer le comportement des hommes, qu’il s’agisse des païens ou des hommes de Dieu, mais de transmettre la révélation divine accordée aux païens.
Dieu se révèle directement à un non-Juif, et il lui révèle son plan pour l’humanité. Cette situation est exceptionnelle, voire unique. Les quelques révélations divines à des païens concernent des actions précises que ces derniers devaient entreprendre, généralement en lien avec le peuple élu. Au temps d’Abraham, Abimélek est informé qu’il ne doit pas toucher à Sara (Ge 20.3-7), un message qui a peut-être aussi été adressé au pharaon quelques années plus tôt (Ge 12.17-19). Agar comprend que Dieu protège Ismaël, le fils d’Abraham, et qu’elle doit retourner vers sa maîtresse (Ge 16.7-14) puis aller dans un autre lieu (21.17-20). Balaam comprend qu’il ne doit pas maudire Israël (Nb 22-24). Le pharaon du temps de Joseph comprend qu’il doit faire des réserves pour des temps de famine (Ge 41), une démarche qui aidera aussi la famille de Jacob. Quant à l’échanson et au panetier du pharaon, Dieu leur révèle les événements personnels qui les attendent trois jours plus tard (Ge 40).
La dimension publique de la vision. La révélation à Nebucadnetsar est privée, mais la réaction du roi la rend publique. Incapable de comprendre la vision, le monarque convoque immédiatement tous ses conseillers : « les magiciens, les astrologues, les sorciers et les Chaldéens » (2.2). Sa décision de tuer tous ces hommes, puis, après l’intervention de Daniel, de les gracier, a dû être discutée dans toutes les chaumières. La promotion de Daniel et de ses amis à des postes ministériels rappelait aussi à tous le salut opéré par le biais de ces hommes (2.48-49).
Le fait que le roi n’ait pas voulu dévoiler sa vision, mais que Daniel ait été capable de la lui rapporter authentifiait, bien sûr, l’interprétation du songe. La diffusion d’un tel miracle, unique dans les annales babyloniennes, a dû être très large, car jamais un roi n’avait exigé que les devins dévoilent le songe d’un individu (« Aucun roi, grand et puissant, n’a exigé une pareille chose d’aucun magicien, astrologue ou Chaldéen » 2.10).
Notons aussi que le récit de ces événements est rapporté en araméen, la langue internationale de l’époque. L’utilisation de cette langue permettait une diffusion du récit bien au-delà des cercles juifs.
Le sens de l’action divine. La question principale à élucider touche au sens de l’action divine. Pourquoi une telle révélation à Nebucadnetsar ? Pourquoi la transmettre sous forme imagée, sans paroles ? Pourquoi vouloir se révéler à Nebucadnetsar et en même temps le faire sous une forme partiellement voilée, puisque la vision nécessitait une interprétation ? ....